Anne-Marie Sargueil: Quels sont les défis techniques et sociaux du design pour tous ?
Marie-Haude Caraës: À travers les normes, les lois et les mesures qui visent à promouvoir l’accessibilité, la société dessine en creux son propre portrait : celui d’un univers normé où la nécessité de conformer les uns aux autres provoque peur, frustration, intolérance et incompréÂhension. La société rationnelle, saisie du problème du handicap, le traite souvent par des approches disciplinaires séparées. Ici c’est une question technique, là sociale ou culturelle, ailleurs le problème est médical ou simplement compassionnel. Il est frappant de constater le contraste entre l’esprit de la loi et la lettre de ses applications.
C’est l’idée d'empowerment qui soutient – ou devrait soutenir – le courant du design pour tous, c’est-à -dire le pouvoir donné à l’individu ou à des groupes d’agir sur leurs conditions de vie, une émancipation active grâce à la mise à disposition d’outils. Ce principe doit être présent dès les prémisses du projet parce que celui-ci a des effets définitifs sur le cadre de vie de chacun ; finalement les techniques sollicitées comptent peu au regard de l’intention. Le design pour tous révèle l’enjeu éminemment politique qui se noue dans l’élaboration d’objets, de services, d’équipements, d’environnements. Si tous les citoyens sont égaux devant la loi, nous devons être capables d’aménager la civilisation à la mesure de tout homme, position qui plaide en faveur de réponses concertées où technique, soin, médiation, économie s’enrichissent muÂtuellement.
AMS : Vous avez récemment été nommée directrice de l'École supérieure des beaux-arts de Tours. Quel profil doit avoir, selon vous, le diplômé de la prochaine décennie et comment les écoles peuvent-elles innover dans la formation qu’elles proposent ?
MHS: Question difficile. Et je ne suis pas sûre d’avoir les compétences pour y répondre. Il faudrait connaître le profil des diplômés des précédentes décennies. Un tel travail existe-t-il ; qui aurait dressé un portrait des diplômés des écoles d’art et par décennie ? Il me semble qu’il y a toujours un aléa, une incertitude dans la rencontre entre un élève, un corps professoral et un lieu, qui suspend le dessein d’une génération de jeunes artistes. En écrivant ces quelques mots, je m’interroge : les écoles d’art pensent sans doute former des individualités artistiques quand, sans doute, elles produisent aussi un certain type d'artistes. Sous ce prisme, la question du profil devient pertinente. Mais ce serait un constat et non une projection.
Comment les écoles d’art peuvent-elles innover est votre seconde question. Je ne voudrais pas parler pour les écoles d’art en général. En ce qui concerne l’école des beaux-arts de Tours – qui est une petite école – nous travaillons avec le corps enseignant sur une pédagogie que je qualifierais de multidirectionnelle : renforcer les échanges entre élèves et professeurs dans l’école en s’émancipant des années tout en conservant des cours spécifiques. L’école se spécialise sur la sculpture, ce qui permettra de la distinguer au niveau local et européen.
CARAES M-H., CALLIGARO V., ECKENSCHWILLER A.,
A la recherche d'un monde partagé, Accessibilité et design pour tous, 2014, Presses de l'EHESP / Cité du Design