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L'Edito d'Anne-Marie Sargueil, présidente de l'Institut Français du Design

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Mémoire & Vision I Design à la française

Le design, reflet des évolutions à l’œuvre au sein des sociétés par Tristan Gaston-Breton 

L'Institut Français du Design (IFD) souhaite apporter sa contribution à la valorisation de l'héritage du design à la française, entre Mémoire & Vision.

L'IFD fait appel à des contributeurs occasionnels et mobilise des penseurs et des experts dans le cadre du Conservatoire et du design & de la marque (CDM) : un espace d'expertise, de réflexion et d'échanges sur le design à la française.

Nous présentons en avant-première le texte de Tristan Gaston-Breton, historien des entreprises, qui a accepté de nous livrer son regard sur l'histoire contemporaine du design.


Le design, reflet des évolutions à l’œuvre au sein des sociétés

par Tristan Gaston-Breton

 

Le XIXème siècle, naissance du design industriel

Le design industriel (que l’on n’appelle pas encore ainsi) naît au XIXème siècle avec l’avènement du machinisme et la naissance de la production en série. Plusieurs mutations se conjuguent alors :

. La révolution industrielle (machinisme) qui permet la fabrication en grandes quantités d’objets courants destinés au plus grand nombre.
. Les mutations technologiques, par exemple dans l’industrie de l’acier ou de l’aluminium qui offrent de nouvelles possibilités et rendent possible la création de nouvelles formes.
. Des mutations sociales d’envergure : les plus importantes sont bien sûr l’émergence des classes moyennes autour des années 1850-1900 et l’urbanisation croissante. Les classes moyennes urbaines émergentes ont un pouvoir d’achat qui croît régulièrement. Elles sont en quête d’objets nouveaux ayant autant une fonction « utilitaire » qu’une fonction « statutaire » (se distinguer des classes populaires mais aussi affirmer sa volonté de s’agréger à la bourgeoisie dont on copie les codes et les modes de consommation). Le design est une réponse à l’apparition de ces consommateurs à la recherche de nouveautés propres à témoigner de leur prospérité et dont les « temples » sont les grands magasins, apparus précisément autour de 1850-1860.

Cette vision du design dont la fonction principale est de séduire les consommateurs sans pour autant les heurter par un excès d’audace va, au fond, imprégner toute la première moitié du XXème siècle. Il y a bien sûr des exceptions à ce schéma et certains mouvements s’opposeront à la logique industrielle pour promouvoir des approches différentes, proches par exemple de l’artisanat. Mais ces mouvements restent assez étrangers à l’industrie. Celle-ci s’adapte en réalité à l’essor progressif de la consommation de masse (perceptible dès les années 1920) et aux développements de nouvelles technologies qui rendent possible le développement de nouveaux objets. Cette vision inspire en particulier la Ford T de Ford, produite à partir de 1908 et dont la « ligne » entend exprimer le confort et la robustesse. Elle inspire aussi, à bien des égards, les créateurs des arts ménagers (1923) qui entendent promouvoir non pas tant les audaces esthétiques que l’innovation, gage de nouveaux produits (ex. le moulin à légumes de Moulinex). Les produits de consommation courante qui sortent dans ces années-là ne sont pas forcément beaux : ils sont même, pour tout dire, souvent très laids. Mais ils sont innovants et donc propres à séduire de nouveaux consommateurs. C’est contre cette vision que se dressera Raymond Loewy (« la laideur se vend mal ») ; mais lui aussi refuse les excès d’audace dont les consommateurs ne veulent pas.

Années 1950-1970 : l’âge d’or du design industriel

C’est à ce moment, à partir du début des années 1950, que naît véritablement le design industriel. C’est l’époque des « Trente Glorieuses » Plusieurs facteurs se conjuguent alors pour donner au design des possibilités nouvelles :

. Le développement très rapide de la production et de la consommation de masse (dont témoignent notamment les nouvelles formes de distribution comme les super ou les hypermarchés).
. L’augmentation régulière du pouvoir d’achat qui nourrit la demande de produits nouveaux.
. Le faible prix de l’énergie. C’est à mon sens un point essentiel. De 1945 à 1973, les prix du pétrole sont très bas. Ce faible coût de l’énergie nourrit la production de masse. Il entraîne une baisse marquée des coûts de production et permet l’apparition de nouveaux matériaux (comme le plastique, issue de la chimie du pétrole, dont les designers ne tardent pas à s’emparer) ou de nouveaux éléments décoratifs (comme les couleurs obtenues par l’usage de peintures industrielles, issues elles aussi des dérivés du pétrole).
. Les innovations technologiques dans la production (emboutissage des matières métalliques, laminage de l’aluminium, injection/moulage du plastique) qui rendent possible la démultiplication des formes.
. L’ouverture des frontières qui facilite la circulation des produits mais aussi des modes et des idées.
. Ajoutons-y enfin les mutations au sein des entreprises qui sont elles-mêmes le fruit des évolutions mentionnées ci-dessus. L’une des plus importantes d’entre elles est l’apparition dans les entreprises, à partir des années 1950, des « services marketing ». Ils se généralisent dans les années 1970 et 1980. De nouveaux concepts apparaissent comme le « packaging », alliance de l’emballage et du marketing. La publicité, qui s’était fortement développée, connaît un essor foudroyant, en raison entre autres de l’apparition de nouveaux médias (au premier chef de la télévision)
Durant les Trente Glorieuses, porté par ce contexte favorable, le design envahit tout : du réfrigérateur à la casserole et du stylo au poste de radio. C’est le temps des audaces (couleurs, matières nouvelles, formes nouvelles). Deux logiques nourrissent son essor :
. Du côté des consommateurs, l’importance croissante accordée à la notion de plaisir : le produit ne doit plus simplement être utile. Il doit être beau, original, susciter du plaisir, de l’étonnement. Derrière cette transformation, une mutation d’envergure des sociétés industrialisées : en raison de l’amélioration de la condition économique des individus, la logique économique (le coût) ou utilitaire (la fonction) n’est plus seule à entrer en compte dans le choix d’un produit par le consommateur. S’y ajoute une dimension plus personnelle (le goût, l’apparence…), expression d’un société de plus en plus individuelle.
. Du côté des entreprises, la nécessité de se différencier : à l’heure de la croissance économique et du développement de la concurrence, le design permet à une entreprise de se démarquer de ses produits.
Les années 1970 ne mettent pas fondamentalement fin à ces schémas. Un vent de liberté souffle sur le design. C’est l’heure de toutes les audaces (couleurs, formes…). Cette évolution se rattache elle-même aux mutations que connaissent les sociétés depuis la seconde moitié des années 1960 et dont témoignent, aux USA les mouvements sur les campus et, en France, Mai 1968. L’heure est à la contestation des idées, des autorités établies et des codes qui, depuis des décennies, régissaient la société (codes bourgeois pour l’essentiel). Le design se fait dès lors beaucoup plus audacieux.

Années 1980 : le temps des remises en cause

Les années 1980 marquent une rupture. Les doubles chocs pétroliers de 1973 puis de 1979 ont en effet mis un terme à la grande croissance commencée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est le temps du pétrole cher, de la crise, du chômage de masse, de l’inflation, de la disparition de secteurs industriels entiers (acier, mines) et des fermetures d’usine mais aussi, sur le plan géopolitique, du déclin des grands systèmes idéologiques structurants (déclin du communisme, chute du communisme à partir de 1989). Les temps deviennent plus incertains. Un certain scepticisme, une crainte de l’avenir même, commencent à gagner les sociétés : l’un et l’autre étaient totalement inconnus des générations précédentes (les « baby boomers ») qui avaient profité pleinement des délices de la consommation de masse.

Dans les mentalités, l’heure, du coup, est à la contestation du productivisme industriel qui avait marqué les décennies antérieures et à la remise en cause du consumérisme. La société, en outre, est caractérisée par un fort développement de l’individualisme. C’est une tendance forte des années 1980 (qui ne fera que s’accentuer dans les années suivantes). Dans un contexte de crise et de remise en cause des certitudes, la tendance est au repli sur soi (sur sa communauté, sa famille…), à la recherche de plus d’intimité, de plus de chaleur et de sécurité…
Si le design des années 1950-1970 s’insérait pleinement dans une démarche de démocratisation par la production de masse, celui des années 1980 se veut du coup beaucoup plus différenciant, presque identitaire. Il tourne le dos au fonctionnalisme qui avait inspiré les décennies précédentes. D’où la multiplicité de formes ou de couleurs et l’impression de foisonnement. Il n’y a plus UN style mais DES styles. On renoue avec certains excès (de formes, de couleurs) qui, à mon sens, reflètent les excès de la seconde moitié des années 1980 (excès financiers, vague libérale, dérégulation)

Un objet symbolise à mon sens tout particulièrement les années 1980 et les mutations qu’elles connaissent : l’ordinateur personnel Apple. Derrière cet ordinateur, il y a en effet la volonté de permettre à CHACUN de s’approprier l’outil informatique (qui était jusque-là le privilège des grandes entreprises ou des grandes organisations nées à l’ère productiviste), à CHACUN aussi de créer ses documents, ses fichiers (et bientôt de travailler sur ses photos), de laisser libre cours à ses envies et à sa créativité… Les utilisateurs d’Apple deviennent bientôt une communauté (qui s’oppose à celle des utilisateurs de PC) : individualisme, différenciation sur des bases identitaires, refus de la logique productiviste, développement d’outils utilisables chez soi, entrée de l’univers du bureau dans l’univers domestique : les ordinateurs Apple, avec leur design très reconnaissable et leur facilité d’utilisation, disent tout de la décennie 1980.

Années 1990-à nos jours : mondialisation et globalisation

Ces deux décennies sont marquées par deux évolutions majeures étroitement liées : la mondialisation et la globalisation. La mondialisation commence dans les années 1990 avec la chute de l’URSS, l’avènement de la Chine et la logique d’intégration croissante à l’œuvre au sein de l’union européenne. Naît alors un grand marché mondial dont certains s’imaginent un peu vite qu’il marque la « fin de l’histoire » et l’avènement d’un capitalisme heureux (voir le livre de Francis Fukuyama).

Ces tendances s’accélèrent dans les années 2010 et le début des années 2020 qui marquent le passage de la mondialisation (caractérisée par la multiplication des relations et des échanges internationaux) à la globalisation (où les acteurs économiques créent des liens d’interdépendance à l’échelle de la planète toute entière et où se diffusent des modèles – comportements, modes, références culturelles…- de plus en plus homogènes). En parallèle, le monde se fait plus incertain, avec son lot de crises économiques et géopolitiques (première guerre du Golfe en 1991, chocs des attentats de septembre 2001, crise financière de 2008, montée de l’islamisme radical, pandémie du Covid…). L’effondrement de l’URSS au début des années 1990 a certes permis de réunir l’Europe : mais elle a contribué à déstabiliser le monde.

Ces évolutions ont des conséquences lourdes sur les sociétés industrialisées :
. elles élargissent la concurrence à laquelle sont confrontées les entreprises à une échelle encore inconnue jusque-là. La bataille devient planétaire et se joue sur deux fronts : les prix et coûts de production, pour lesquels l’Occident est mal placé par rapport aux nouveaux entrants comme la Chine et l’Inde, et la valeur ajoutée du produit pour lequel l’Occident est, au contraire, plutôt bien placé.
. ces évolutions accentuent également les inquiétudes collectives, les tendances identitaires/individualistes et le besoin de sécurité. Il n’est pas anodin par exemple que deux grands succès des années 1990 soient la Renault Twingo et l’ordinateur Apple I-Book : les formes rondes et les couleurs douces (assimilées à l’univers féminin) évoquent un monde doux et rassurant. Il n’est sans doute pas anodin non plus que, dans la décennie suivante, s’impose un design plus minimaliste. Comme si une certaine prudence et une certaine réserve étaient désormais de mise.

Dans ce contexte, le design industriel devient donc, avec l’innovation, un atout maître pour les entreprises occidentales, l’une des manifestations de la nécessité d’ajouter de la valeur à un produit. Comme c’était le cas dans les années 1950-1970, il est partout : dans les marques de télévision, l’électroménager, l’alcool (Ricard fait dessiner sa célèbre carafe à cette époque-là, avant même la non moins célèbre bouteille de vodka Absolut), l’électronique, les logos des entreprises…. Le design doit permettre de séduire toujours plus de consommateurs, de relancer des ventes mises à mal par la concurrence ou les crises économiques. Bref, le design devient un élément indispensable de la création industrielle pour élargir les ventes et garantir la pérennité des profits.

Un élément encore à noter : en 1995 est signé le premier protocole de Kyoto visant à réduire les émissions de gaz à effets de serre. Depuis cette date, les préoccupations environnementales n’ont fait que prendre de l’importance. Elles ont eu pour effet de faire émerger un bio design aux formes simples et fonctionnelles. Une fois de plus, le design reflète les évolutions à l’œuvre au sein des sociétés.

Last modified on mercredi, 22 septembre 2021 16:00

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